jeudi 15 décembre 2016

Les transformations contemporaines des métiers des secteurs de la santé et du social

Travail, santé, précarité. Les transformations contemporaines des métiers des secteurs de la santé et du social à l’épreuve du sens

Appel à communication


Depuis plusieurs années, les métiers du soin et du travail social ont connu des évolutions importantes de leurs conditions d’exercice. Ces transformations sont d’abord relatives aux dispositions en matière d’action médico-sociale introduites par les nouvelles législations*.
Cette nouvelle gestion publique (new public management) fait écho avec l’épuisement de l’État providence**. En effet, si les États Providence européens sont nés comme réponse, d’une part, aux révolutions industrielle et démocratique, et, d’autre part, à la question sociale résultant de la tension entre l’égalité juridico-politique formelle et la réalité des inégalités socio-économiques réelles, sa crise se traduit par un rapprochement des différents systèmes construits par les États, dont on peut rappeler simplement quelques traits : activation des dépenses dites passives, responsabilisation des ayant-droit, financement par l’impôt, difficulté des équilibres financiers, marchandisation des services collectifs…

* Nous faisons en particulier référence ici à la Loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale, à la tarification à l'activité (T2A) issue de la réforme du plan hôpital 2007, à la Loi du 21 juillet 2009 dite « Hôpital, patients, santé et territoire » (HPST), à la Révision générale des politiques publiques (RGPP) en 2007, puis à la Modernisation de l'action publique (MAP) en 2012.
** J. Habermas, « La crise de l’État-Providence et l’épuisement des énergies utopiques », dans Écrits politiques, trad. fr., Paris, Cerf, 1990, pp. 105-126.

Approfondir ce diagnostic nécessite de le confronter aux évolutions réelles des rapports sociaux au sein d’une économie mondialisée et de ses répercussions sur les modes de subjectivation. La figure de l’individu autonome entre désormais en conflit avec les mécanismes de la solidarité et, pour reprendre les analyses de Marcel Gauchet*, conteste les institutions qui l’ont rendu libre. Les termes mêmes de société et de solidarité deviennent obsolètes au profit de représentations affaiblies comme l’humanitaire ou le « care ». Les inégalités sociales deviennent illisibles en se fragmentant en différences individuelles, valorisées comme modèle culturel dominant d’être au monde, et parfois reprises dans des collectifs malléables et temporaires d’identifications tribales ou communautaristes. L’anonymat des forces auxquelles l’individu s’affronte, l’incertitude face à l’avenir, dont le « présentisme », et le « bougisme mystificateur », stigmatisés par Pierre-André Taguieff**, sont le symptôme ; les métaphores creuses de la perte de sens ou de lien, produisent une sorte de rapport désespéré au politique comme capacité de construire quelque chose comme du commun, de la maîtrise, bref, ce qu’on appelait naguère, sinon une société, au moins du social, ou de l’être ensemble qui ait un sens pour chacun. Pour rendre compte de cette conjoncture de nouvelles catégories de la pensée apparaissent la souffrance sociale, l’exclusion, montrant la dimension profondément subjective de la question sociale contemporaine. Face aux protections qui se défont, l’individu est appelé à donner de lui-même : pas de secours sans contrepartie, pas de service sans argent, pas de reconnaissance sans réussite de soi-même.
Face au constat de la déliquescence de la protection sociale et de l’intervention sanitaire et sociale auprès des usagers, nous proposons, à l’occasion de ce colloque, de nous pencher sur l’expérience des « acteurs de première ligne » que représentent aujourd’hui les professionnels des métiers du soin et du travail social. En effet, tant les transformations des réglementations sous l'impulsion des nouvelles législations que les conditions de vie de publics affectés par la montée de la précarité ont créé de nouveaux contextes qui obligent les professionnels à repenser les modalités de leurs interventions. Par ailleurs, les effets de « l’ébranlement de la société salariale »*** confrontent désormais certaines catégories sociologiques à une vulnérabilité structurelle qui n’est pas sans conséquences en matière d’accompagnement sanitaire et social.
À l’heure où les modèles d’organisation du travail centrés sur l’idéologie entrepreneuriale et le culte de la performance individuelle s’imposent en dehors du secteur de l’économie marchande et imprègnent de plus en plus fréquemment le domaine des emplois de services, les professionnels des « métiers de l’humain » expliquent de plus en plus fréquemment ne plus pouvoir se satisfaire des seuls aspects d’évaluation, de performance, de réussite, de quantification qui pèsent de plus en plus lourdement sur les acteurs sociaux. Ces critères, induits par la raison instrumentale et le souci de productivité qui envahissent désormais nos sociétés postindustrielles, conduisent en effet à des difficultés considérables pour des professionnels conduits à exercer leurs fonctions dans des conditions de plus en plus difficiles, alors même que les espaces de partage et d’échanges autour des difficultés liées à l’écart entre « travail réel » et « travail prescrit » semblent s’amenuiser, renforçant encore le poids d’une souffrance subjective dont les effets sont néanmoins parfaitement concrets. En d’autres termes, si le travail est uniquement jugé à l’aune de la valeur d’utilité que définissent des critères d’évaluation excluant le « jugement de beauté » et le « jugement de gratitude », alors l’échec est probable et la responsabilité de celui-ci est alors attribuée aux professionnels ou au public concerné. Dès lors, pour les professionnels du champ sanitaire et social, les incertitudes que font naitre cette situation influent sur les perspectives et le sens de leur travail et se traduisent parfois par des symptômes tels que le stress ou la souffrance au travail.

* M. Gauchet, La condition historique, Paris, Stock, 2003.
** P-A. Taguieff, L’effacement de l’avenir, Paris, Galilée, 2000.
*** R. Castel, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Gallimard, 1995.


Sans prétendre épuiser les problèmes posés par la thématique de ce colloque, quatre axes de travail orienteront la réflexion proposée dans les ateliers thématiques à partir des réponses à l’appel à communication :
Axe 1. Incidences des transformations législatives et organisationnelles sur les pratiques professionnelles
Comment évaluer aujourd’hui l’incidence des réformes qui, ces dernières années, ont tout particulièrement affecté le champ de l’intervention sociale et de la santé ? Quel regard portent aujourd’hui les professionnels à ce propos ? Quelles conséquences peuvent être identifiées en matière de rythmes de travail, de responsabilités, de logiques d’action ?

Axe 2. Mutations des cultures et des identités professionnelles et évolutions des formes et figures de l’engagement
Qu’en est-il aujourd’hui des mutations culturelles et identitaires des métiers des secteurs de l’intervention sociale et de la santé ? Quelles sont aujourd’hui les formes et figures de l’engagement des professionnels qui exercent dans ces domaines ? Quelles valeurs sous-tendent l’exercice professionnel et peut-on aujourd’hui repérer des transformations à ce propos ?

Axe 3. Bien être et mal être au travail
Les modèles d’organisation du travail paraissent devoir se centrer de plus en plus sur la dimension entrepreneuriale, la performance individuelle, l’évaluation de la qualité, l’obligation de résultats, la responsabilisation des usagers, la contractualisation, le projet, etc. Néanmoins, en quoi ces orientations favorisent-elles ou non l’efficacité ressentie et le bien-être au travail ? Ces orientations conduisent-elles à une meilleure reconnaissance des tâches accomplies ? Suscitent-elles le désir et le plaisir de travailler ou au contraire le déplaisir et parfois le découragement ?

Axe 4. Relations, coopération, et solidarités
Dans un contexte de mutations organisationnelles guidées par la rationalité instrumentale, le changement est souvent présenté comme le passage obligé en vue d’une performance et d’une efficacité accrue. Des transformations s’organisent donc en fonction de critères supposés logiques et pragmatiques (en particuliers gestionnaires et comptables), afin d’aboutir à la définition d’un ensemble de consignes supposées garantes de « bonnes pratiques ». Pour autant, sur le terrain, malgré la logique intrinsèque de telles orientations, il
semble que le sens du travail ne soit désormais plus un allant de soi. Quelles nouvelles modalités de coopération et de solidarités fait naitre une telle situation ? Quelles formes d’inventions collectives, voire de « résistance créatrice » se donnent aujourd’hui à voir et à entendre ?

Les personnes intéressées par une intervention dans cette manifestation scientifique sont conviées à proposer une contribution selon les modalités suivantes :
Les propositions de communications devront être soumises pour le 2 janvier 2017 au plus tard. Les propositions indiqueront l'axe retenu et ne devront pas excéder 5000 signes.
Elles devront être transmises par email à Christophe NIEWIADOMSKI (christophe.niewiadomski@univ-lille3.fr ) et à Pascal FUGIER (pascal-fugier@orange.fr).
Après acceptation des propositions par le comité scientifique, l'envoi des textes dans leur intégralité est fixé au 28 février 2017
Les inscriptions pour le colloque s’effectuent sur le site suivant : https://tsp.univ-lille3.fr/

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