mardi 14 novembre 2017

Donner la parole aux « sans-voix »

Donner la parole aux « sans-voix » ? Acteurs, dispositifs et discours

Appel à communication


Colloque international organisé par le Céditec EA 3119

Université Paris-Est Créteil
21-22 juin 2018

 
Si le problème de la liberté d’expression a longtemps dominé les réflexions et les débats sur le fonctionnement des arènes publiques, la question de l’accès des groupes sociaux les plus démunis à la prise de parole légitime a été constituée au cours des dernières décennies en un problème public à part entière. Les conditions de l’accès de ces groupes à l’expression publique et de l’audibilité de leurs discours sont aujourd’hui interrogées par de nombreux acteurs (associations, syndicats, partis, intellectuels, travailleurs sociaux, journalistes, éditeurs, etc.) qui proposent des dispositifs destinés à « donner la parole aux sans-voix ». L’objectif de ce colloque est d’examiner, dans une perspective interdisciplinaire, les modalités, les formes et les enjeux de ces offres de prise de parole dans des contextes politiques et sociaux variés : les acteurs qui les promeuvent, les dispositifs qui les configurent et les discours qui les accompagnent.

Les sciences sociales, notamment la sociologie politique ou encore l’histoire sociale, se sont principalement intéressées jusqu’à présent aux conditions d’accès et de légitimité de la parole de groupes dominés ou à « faibles ressources » dans les espaces de construction des débats publics : ouvriers, immigrés, déviants, minorités ethniques, sexuelles, SDF, exclus, femmes, enfants ou jeunes. Ces groupes sont parfois rassemblés dans des catégories comme celles d’« inaudibles », d’« invisibles », de « sans visage », de « publics fragiles » ou de « groupes subalternes ». Peu de recherches se focalisent sur le travail de catégorisation qui contribue à faire exister ces groupes, qu’il soit mené par des entrepreneurs de problèmes publics (agents de l’Etat, professionnels de l’information, de l’animation socio-culturelle ou de la santé, travailleurs sociaux, militants, artistes, etc.), ou par les chercheurs eux-mêmes. Ces derniers ont pu par ailleurs s’interroger (EHESS, mars 2016) sur les conditions de recueil, l’audibilité, la crédibilité et l’intelligibilité des paroles des « sans-voix ».

L’anthropologue américain James Scott (2009) considère que les occasions où la parole authentique des « subalternes » se fait entendre publiquement sont des exceptions plutôt que la règle, et qu’elle s’exprime le plus souvent de manière dissimulée ou déguisée dans des espaces confinés, souvent difficiles d’accès pour l’historien ou l’ethnologue. On peut s’interroger sur les processus et les agents qui contribuent, à publiciser ce « texte caché » (hidden transcript) et les effets que leurs interventions peuvent produire sur ce dernier. On peut aussi se questionner sur la nature et la texture de cette parole d’autant plus difficile d’accès pour le chercheur qu’il ne la trouve jamais à l’état « brut » mais toujours partiellement transformée par les dispositifs qui en déterminent les conditions d’énonciation et de réception. Dans quelles circonstances et en quels termes des agents en viennent-ils à endosser un rôle de porte-parole ou de représentant de ces « sans-voix », au risque de reproduire les mécanismes de captation symbolique que certains entendent précisément dénoncer ? Quels sont les supports, les formes, les formats et les genres qui fournissent les médiations privilégiées d’expression de cette parole ? De quelle façon l’institutionnalisation de ces catégories et problématiques de sens commun ou savantes est-elle susceptible d’ouvrir ou de refermer l’espace du possible et du pensable sur les problèmes dont souffrent les « sans-voix », et les solutions susceptibles de leur être apportées dans le domaine de l’action sociale, de la répartition des richesses, de l’éducation, des médias, de l’action gouvernementale ?

Il s’agira, de façon complémentaire, d’analyser les paroles tenues par ces « sans-voix » lorsqu’ils parviennent, dans les espaces ou les dispositifs qui sont mis à leur disposition, à s’exprimer publiquement. Comment analyser ces paroles privées rendues publiques par un jeu de sélection, de mise en scène et de mise en mots sur lequel les locuteurs n’exercent, au mieux, qu’un contrôle partiel ? Quels indices permettent d’analyser les transformations que subissent ces paroles, lorsqu’elles font l’objet d’un processus de publicisation, et/ou lorsque ces groupes se dotent ou se voient dotés de « porte-paroles » s’exprimant en leur nom ? Quels effets en retour produisent ces formes d’expression sur ceux qui contribuent à les rendre visibles et audibles ? Enfin, on s’interrogera sur les conditions de réception et d’audibilité de ces paroles : quelles sont les logiques qui président à leur circulation dans l’espace social ? Comment sont-elles interprétées ou retraduites en fonction des publics qui les reçoivent ? Les dispositifs qui les produisent jouent-ils un rôle d’émancipation ou contribuent-ils à des formes paradoxales d‘enfermement des locuteurs dans des rôles et des catégories imposés ?

Un dernier axe de réflexion peut en effet reposer sur l’analyse des dispositifs eux-mêmes : l’offre de prise de parole peut se matérialiser dans des formes aussi diverses qu’une collection dans une maison d’édition, une émission de télévision, des groupes de parole ou des blogs, ou encore un dispositif institutionnel dans le cadre scolaire, sanitaire, culturel… Autant d’agencements matériels et symboliques qui ne seront pas envisagés dans ce cas comme un simple lieu où saisir des objets d’investigation, mais bien comme des espaces organisés et organisant des relations sociales.

Le colloque se situe dans une perspective pluridisciplinaire et nous invitons sociologues, anthropologues, historiens de la culture, politistes, sémiologues, linguistes et analystes du discours à présenter leurs travaux et à partager leurs analyses et réflexions.

Organisation
  • Deux conférences plénières : confirmée : Philippe Artières, historien, directeur de recherche, CNRS, Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain.
  • Format des communications : 30 mn
  • Deux tables rondes, avec des intervenant-e-s invité-e-s
Langues : français ou anglais, de préférence avec un support en français dans ce dernier cas.


Soumission des propositions

Les propositions de communication devront comporter :
  • Nom(s) et prénom(s) de(s) l’auteur-e-(s),
  • Rattachement institutionnel
  • Titre, résumé de 2500 signes, bibliographie comprise, 5 mots clefs
Elles seront anonymisées et soumises à deux évaluateurs du comité scientifique, qui seront particulièrement attentifs à l’articulation entre la méthodologie employée, le cadrage théorique et la nature des données empiriques étudiées.

Elles sont à envoyer en format texte (.doc, .odt, .text ou .rtf) à l’adresse suivante :

Les participants seront ensuite invités à envoyer un texte de 20.000 signes pour le 09/05/2018

Calendrier :

– Envoi des propositions de communication (titre, résumé, rattachement institutionnel) pour le 01/12/2017

– Notification d’acceptation : le 31/01/2018

– Envoi d’un texte développé : 09/05/2018

Les frais d’inscription, qui seront indiqués dans le courant du premier semestre, seront à la charge des participants.
Plus de notes, détails, références et précisions, ainsi que le texte en anglais, figurent dans la pièce jointe.

Comité d’organisation :
Dominique Ducard, Benjamin Ferron, Emilie Née, Claire Oger (UPEC, Céditec)

Comité scientifique :
Sonia Branca-Rosoff (Université Sorbonne Nouvelle, CLESTHIA)
Cécile Canut (Université Paris Descartes, CERLIS)
Dimitri Della Faille (Université du Québec en Outaouais, Cédim/GRICIS)
Aude Gerbaud (Université Paris-Est Créteil, Céditec)
Corinne Gobin (Université libre de Bruxelles, GRAID)
Jacques Guilhaumou (CNRS, Triangle)
Frédéric Lambert (Université Paris 2, CARISM)
Joëlle Le Marec (Université Paris-Sorbonne, GRIPIC)
Ida Machado (Universidade federal de Minas Gerais, NAD)
Daniel Mouchard (Université Sorbonne Nouvelle, ICEE)
Caroline Ollivier-Yaniv (Université Paris-Est Créteil, Céditec)
Julie Pagis (CNRS, CERAPS)
Marie-Anne Paveau (Université Paris 13, PLEIADE)
François Perea (Université Montpellier 3, Praxiling)
Alain Rabatel (Université Lyon 1, ICAR)
Juliette Rennes (EHESS, Cems)
Ruth Wodak (Lancaster University / Université de Vienne)

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